J’ai entendu parler de Remi Ochlik quelques jours (mois ?) avant qu’il ne meure dans un bombardement en Syrie. Au début, il était juste pour moi un de ces photographes reporters-de-guerre qui font des photos superbes en zone de conflit. De ces gens que j’admire, et dont je me dis qu’il « vivent » réellement (sic, pour le coup). Ils font des photos parlantes, émouvantes, brutales. Des scènes vives, avec des couleurs poussiéreuses. Et donc, j’avais déjà eu l’occasion de parcourir son site web (qui a été mis hors ligne depuis), mettant en avant toutes ses photos les plus belles.
Et puis un jour j’ai entendu à la radio qu’il s’était fait tuer dans un bombardement. Je ne le connaissais pas, mais ça m’a fait quelque chose, parce que pour une fois que je connaissais de nom un génie du photo-reportage (à mes yeux au moins), lui mourrait sur le terrain.
Plus tard, je suis revenu sur lui en cherchant son nom sur Google, et c’est comme ça que j’ai vu sa fiche Wikipédia, et découvert qu’il avait gagné un prix World Press Photo (c’est pas rien).
Un collègue de mon boulot, plutôt excellent en photographie, m’expliquait qu’il aimait beaucoup le photo-journalisme. Du coup, je lui ai parlé de Remi Ochlik. Et un jour, ce même collègue m’a envoyé cet article, dans lequel on en apprend un peu plus sur Ochlik, avec notamment cette citation :
« La guerre est pire qu’une drogue, sur l’instant c’est le bad-trip, le cauchemar. Mais l’instant d’après, une fois le danger passé, on meurt d’envie d’y retourner prendre des photos en risquant sa vie pour pas grand chose. Il y a une sorte de force incompréhensible qui nous pousse à toujours y revenir… ».
C’est peu dire que, même si je n’ai jamais été dans une zone de conflit, je comprend tout à fait son point de vue (et j’ai souvent entendu parler de ce type de sentiment chez les soldats revenant de séjours en zone de conflit).
Bon, et pour revenir à mon collègue, sur l’article qu’il m’a envoyé, il m’a montré le livre fait à partir des photos de Remi Ochlik.
On peut l’acheter sur le site emphas.is, pour la somme de 40$ (avec les frais de ports, ça doit faire un total de 40 euros je pense…). Et c’est livré en quelques jours.
Je l’ai acheté.
Pour finir ce billet, je pique sur le site Photographie.com la citation complète de Remi Ochlik (2004) :
« Le 4×4 se rapproche inexorablement d’un barrage. On prie pour que les Chimères qui s’y trouvent sachent lire afin qu’ils puissent voir « international press » sur le véhicule. (…)
La bouche déjà pâteuse, on allume une cigarette qui n’a plus de goût, qui brûle la gorge. Les portières s’ouvrent, on est sorti de la voiture, une arme automatique sur la tempe. On pense à sa famille, au jour de son enterrement et à un tas de choses hors contexte. Le pire, ce sont leurs yeux : rouges, vitreux, sans vie. Complètement shootés au crack, ils sont capables de tout, surtout du pire. Ils hurlent des ordres en créole qu’on ne comprend pas. On est fouillé sans ménagement, toujours le canon de l’arme sur la tempe. Ils cherchent des armes. L’un d’entre eux nous fait signe de remonter dans la voiture, les autres ne sont pas d’accord. Ils crient, se battent entre eux à coups de bâton. On n’en mène pas large. On a vingt ans et pas vraiment envie de mourir. On donnerait tout pour être loin, très loin, ne jamais être venu. Témoigner ? La belle affaire ! Pour qui ? Pour quoi ? Tout le monde s’en fout de cette île pourrie. Ils peuvent bien s’entretuer, le monde n’en a cure. Et nous, on est dans la merde. Il suffirait d’un rien pour un coup parte, que l’on se retrouve à terre. Puis, il y a cette détonation, les tympans semblent avoir explosé, on n’entend plus rien. Une distance se créée entre le cerveau, la pensée et l’extérieur, on est comme dans une bulle. On voit leur bouches s’ouvrir sans aucun son n’en sorte. L’imbécile qui vient de tirer semble content de lui. Ils ont fini par se mettre d’accord, on peut partir. (…)
On est livide, médusé. Mais on est passé. L’adrénaline redescend, les nerfs se relâchent. On éclate de rire, un fou rire étrange et déplacé, mais incontrôlable. Le cœur commence à retrouver un rythme plus régulier quand au loin, on aperçoit un autre barrage… Ce soir-là, en revenant du nord du pays, sur la route St Marc / Port-Au-Prince, on a croisé six barrages semblables à celui-ci. Plus de trois heures pour parcourir cinq malheureux kilomètres. (…)
On pense à cette étrange dualité que créée la guerre. On vient de vivre des instants terribles, pendant lesquels on aurait vendu les êtres les plus chers pour être loin de cette merde, et pourtant nous voilà, à peine sorti d’affaire, avec une seule envie, une seule idée fixe : y retourner, encore et encore, sentir cette peur à nouveau, cette montée d’adrénaline si puissante. La guerre est pire qu’une drogue, sur l’instant c’est le bad-trip, le cauchemar. Mais l’instant d’après, une fois le danger passé, on meurt d’envie d’y retourner prendre des photos en risquant sa vie pour pas grand chose. Il y a une sorte de force incompréhensible qui nous pousse à toujours y revenir… »