Shutter Island : un film de grande qualité, mais…

J’ai vu hier soir Shutter Island, et j’ai envie d’en parler un peu. Je divise ce billet en deux, la première partie pour ceux qui ne l’ont pas vu (avec une appréciation globale, qui ne révèle pas ce qui se passe dans le film), et une seconde partie pour ceux qui l’ont vu, c’est à dire contenant des spoilers. Je précise également avant toute chose que je n’ai pas passé un très bon moment au cinéma en voyant ce film, tant le son était fort (j’étais à l’UGC La Défense), et que je n’aime pas beaucoup payer ma place pour devenir sourd.

Réalisé par Martin Scorcese (réalisateur de Taxi Driver, LA Ligne Rouge, les Affranchis, entre autres)

Avec : Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley (qui fait beaucoup pensé à son rôle dans Slevin)

Le synopsis : En 1954, le marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule sont envoyés enquêter sur l’île de Shutter Island, dans un hôpital psychiatrique où sont internés de dangereux criminels. L’une des patientes, Rachel Solando, a inexplicablement disparu. Comment la meurtrière a-t-elle pu sortir d’une cellule fermée de l’extérieur ? Le seul indice retrouvé dans la pièce est une feuille de papier sur laquelle on peut lire une suite de chiffres et de lettres sans signification apparente. Oeuvre cohérente d’une malade, ou cryptogramme ?

[Fiche Allociné]

Pour ceux qui ne l’ont pas vu

Martin Scorcese ne se fout pas de la gueule du public : vous avez là un film extrêmement bien fait, un scénario béton, c’est joué parfaitement, bref c’est un film de qualité.

Maintenant, je regrette l’absence de fin « magnifique », comme je les aime (pour comprendre ce que c’est, voir mon billet là-dessus), et c’est la raison pour laquelle je ne conseillerai pas d’aller le voir au cinéma (trop cher), ni de l’acheter en DVD/BRD, mais pour autant, je vous incite à le voir, et c’est d’ailleurs là que la VOD (celle qui propose le visionnage à la demande, chez soi, limité à une seule fois, et pour un prix de quelques euros).

Globalement le film est stressant, il met mal à l’aise, bref, ce n’est pas à mes yeux du « divertissement agréable » (d’où mon conseil donné ci-dessus de ne pas aller le voir au cinéma). Mais le film reste d’une très grande qualité. J’en parle dans la suite, que je vous recommande de ne pas lire si vous n’avez pas vu le film.

Pour ceux qui l’ont vu

Attention, cette partie parle ouverte ment de ce qui se passe dans le film, si vous ne l’avez pas vu, ne la lisez pas.

Je commence : Martin Scorcese a fait à mes yeux un grand film, du niveau de Usual Suspect par exemple, car il « joue avec le spectateur ». Dans Shutter Island, Scorcese fait devenir paranoïaque le spectateur, en lui présentant les choses de la façon dont le personnage principal les voit (or il s’avère que ce ne sont pas les vraies choses). Donc le spectateur est forcé, à la fin du film, de se rendre compte que tout ce qu’il voyait comme éléments allant en faveur de la conspiration ne sont pas, en fait, des éléments véridiques, et que de conspiration il n’y a point.

Par contre, au fur et à mesure du film, le personnage principal donne pas mal d’éléments sur ce qu’il se passe dans la prison, et ces éléments sont loin d’être faux. Je précise : quand il parle du fait qu’on fait des expériences sur les humains (notamment le passage sur la lobotomie par l’oeil, qui lui est révélé dans la grotte par la psychiatre imaginaire), sont elles bien réelles, et montrent que même s’il est paranoïaque, il est au courant d’un certain nombre de choses des expériences. En cela, la comparaison qu’il fait avec la Corée du Nord, avec la Russie, avec le Nazi, n’est pas à côté de la plaque, et je suis sûr que Scorcese a voulu faire passer ce message dans son film en filigrane. A ce moment, c’est au spectateur qu’il parle, lui disant clairement que les Etats-Unis ont fait des expériences sur le cerveaux des humains, tout comme les Corréens, Russes et Nazi. Et on se rend compte à la fin du film que, si Shutter Island n’est pas un centre dédié à ces expériences, sous couvert de traitement des malades psychiatrique, c’est bien un hôpital où l’on essaie vraiment de traiter correctement les malades psychiatriques, mais dans lequel les malades finalement considérés comme irrécupérables sont utilisés pour de telles expériences.

La dernière phrase que prononce Andrew Laedis est d’ailleurs extrêmement puissante, quand il dit : « Is it better to live as a monster? Or die a good man? », et cela montre à mon avis qu’il préfère rechuter à chaque fois dans la non-acceptation de ses horreurs, et ainsi risquer d’être utiliser pour les expériences sur le cerveaux, qu’accepter l’horreur qu’il a commis et ne pas être utilisé pour ces expériences. En somme, il préfère forcer son entourage (les gardiens de la prison) à le « suicider », de la même façon que sa femme l’a fait en noyant ses enfants, que vivre avec le fardeau qu’est d’assumer son crime.

Au final, c’est vraiment un très bon film, avec pas mal de choses à dire, Scorcese s’exprime dans ce film (sur les expériences notamment), tout en « jouant » avec le spectateur (en le mettant du côté de la paranoïa dès le début du film), donc un film de qualité, mais dont je ne peux pas dire qu’il soit « agréable » à regarder.

Edit : J’ai revu la fin du film, et je me demande en fait si Andrew n’est pas parfaitement conscient de ce qu’il va lui arriver. En effet, il voit les gens arriver vers lui, et a ce moment dit : ‘Witch would be worse ? To live as a monster, or to die as a good man ? », puis il se lève, et va tout seul vers eux, sans même qu’ils lui aient dit de venir. Je pense donc que son refus d’être Andrew est conscient, et qu’il sait qu’il va mourrir, mais c’est un choix mûrement réfléchit.

11 réflexions sur « Shutter Island : un film de grande qualité, mais… »

  1. je te signale une petite faute de frappe dans ton article !

    « Je divise ce billet en deux, la première partie pour ceux qui ne l’ont pas lu »

    Ne serait-ce pas « vu » à la place de « lu » ? 🙂

  2. Je viens de voir le film cet après midi et voilà que tu fais un billet dessus, belle coincidence.

    Je suis un grand lecteur de Dennis Lehane, auteur de livres à succès trop méconnu en France à mon goût. Il a déjà écrit plusieurs livres adaptés au cinéma : mystic river (génialissime), gone baby gone (très mauvaise adaptation du livre) et maintenant shutter island.

    Je dois dire qu’il est rare de ne pas être déçu d’une adaptation livresque au cinéma et Scorsese réussit cela d’une manière magistrale. C’est un chef d’œuvre !

    l’ambiance est stressante à souhait, les images sont d’une beauté rare et le scénario (mais ça je le savais déjà) est grandissime. Que dire de Léonardo di Caprio (et pourtant je suis pas fan), quelle interprétation ! whow !!

  3. Je ne comprend pas bien ta recommandation de « ne pas aller le voir au cinéma, parce que ce n’est pas un film de divertissement ».

    Pourquoi ne devrait-on aller au cinéma que pour des films de divertissement ? Au contraire, je crois que voir ce film au cinéma est certainement bien plus intéressant que de le regarder en DIVX sur son petit écran. Au cinéma, tu es dans un contexte différent, dans une salle, entouré de gens que tu ne connais pas, et tu ne peux pas en sortir. Tu es « obligé » de « subir » le film, de ressentir la pression psychologique, et il n’y a généralement rien qui puisse te détacher de cela.

    Je crois que ce genre de film, justement, c’est au cinéma qu’il faut le voir, car c’est là qu’on est le plus à même de ressentir totalement toute la puissance du film et de ce qu’il évoque chez le spectateur.

    Si je le regardais chez moi, avec le bruit, les gens qui bougent dans mon appart, les interruptions, la possibilité de mettre en pause pour aller chercher à boire ou aller aux toilettes, le film serait bien moins intéressant et oppressant.

    Alors qu’un film comme Sherlock Holmes (que j’ai aussi vu au cinéma), j’aurais très bien pu le regarder chez moi sans que ça ne change grand chose (à part la qualité des images).

    Pour finir, et pour répondre à ton interrogation finale sur la « conscience » de Teddy sur ce qu’il va lui arriver, je pense que oui, il en est tout à fait conscient, et qu’il va effectivement lui-même vers la mort artificielle, parce que justement, il préfère mourir en étant fou et donc un « héros » plutôt que de vivre en assumant son acte.

  4. @Adrian Gaudebert: Ton commentaire m’a fait beaucoup plaisir, parce que je l’ai trouvé intelligent. Je m’explique. Oui, je pense que tu as raison, pour se retrouver dans l’ambiance, le cinéma est une vraie bonne chose.

    Maintenant, je dois avouer que je n’aime pas me retrouver enfermé dans une telle ambiance, et même, je n’en ai pas besoin pour « m’imposer un mal-être » (j’ai énormément de mal à voir un film stressant chez moi, ou au moins d’une traite : je multiplie les pauses, afin de « décompresser » => demande à Caroline ce qu’elle en pense 🙁 ). Et j’avoue que je préfère aller au cinéma pour les belles images et le son surround 5.1…

    Maintenant, pour les gens capables de ne pas stresser comme des malades quand ils sont devant un film un tant soit peu angoissant, alors oui, le cinéma est une bonne chose, et donc je plussoie fortement ton commentaire.

  5. @Adrian Gaudebert: Je confirme que Louis ne cesse de faire des pauses, dès qu’il y a un peu de suspens dans un film et franchement ça me TUE ! Mais bon, l’amour pardonne beaucoup de choses…

    Je suis plutôt comme toi, à aimer sentir l’oppression d’un film. Par contre je n’ai pas besoin d’être dans une salle de cinéma pour y arriver, car je parviens très facilement à m’isoler et ce même lorsque je suis chez moi.

  6. Le divertissement est très agréable pour qui goute aux joies des atmosphères pesantes et brumeuses, les films noirs des années 30, etc 😉 Mais il est vrai que le film n’est pas un divertissement joyeux.
    Je ne suis pas particulièrement d’accord cependant pour le côté « scénario en béton » : il est parfois un peu brouillon, et trop appuyé sur le twist à venir. C’est dommage, car en gagnant en clarté, le travail sur l’ambiance aurait été plus percutant encore.
    Je me permets de signaler que la lobotomie est bien antérieure à la seconde guerre mondiale, et qu’il s’agit d’une pratique qui a été longtemps considérée comme la plus humaine qui soit (quand on compare aux sévices qu’on faisait subir aux patients souffrant de déviances psychiatriques, quelques petits trous pour les faire passer à un état de docilité, assurant la sécurité tant pour leur entourage que pour eux-même, était un maigre prix à payer). Les expérimentations qui sont suggérées sont plutôt relatives aux recherches qui ont été effectuées pendant la seconde guerre mondiale sur le contrôle psychique, ou sur l’inhibition de la douleur chez les soldats, afin de les faire se battre jusqu’à la mort.

    Là où les avis divergent le plus, c’est sur la fin. Selon moi, le personnage de DiCaprio a effectivement parfaitement compris son acte, compris l’étendu de son déni. Mais comment retourner à la vie normale, après ça ? Comment affronter le monde, en sachant qu’on sera considéré comme un tueur ? Il préfère simuler une rechute, afin d’être (socialement au moins) exécuté. Mais il laisse cette ultime phrase pour faire comprendre son choix à son médecin et « ami ».

    Un très beau film, en tout cas.

  7. @Zerach: Alors, merci déjà pour ton logn commentaire, ça fait plaisir. Ensuite : je pense que tu as raison, mais je n’avais pas été aussi loin dans mon analyse. Je pensais que DiCaprio se « laissais retomber » et que cela entrainais la suite, mais je pense que c’est toi qui as raison, il feint de rechuter, et j’en trouve la fin du film encore meilleure. Celà dit, cela rejoint également la thèse du « suicide », comme celui de sa femme.

  8. Je n’est jamais été voir ce film mais je pense que je vais acheter le DVD. Il m’as l’air assez dure en lui même, poussant les gardiens a vouloir le suicider c’est assez poignant comme remarque, et une femme qui fait cela a ses enfants ce doit été extrême comme film. oui je vais l’acquérir, merci du post.

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