L’iPad ne sera pas un eldorado pour la Presse traditionnelle

Ce matin, je n’ai pas coupé au matraquage en règle sur France Info à propos de la sortie de l’iPad : Nicolas Poincaré a ainsi eu au téléphone (à l’antenne) Etienne Mougeotte (du Figaro), Franz-Olivier Giesbert (du Point), Denis Olivennes (du Nouvel observateur) et enfin Philippe Jannet (du Monde Interactif). Tous ont dit à quel point ils voyaient en l’iPad un nouvel horizon, même si certains avouaient qu’ils ne compter pas rentrer tout de suite dans leur frais… A l’inverse d’eux, je pense que l’iPad ne sera rien de plus qu’un gros crash supplémentaire pour la Presse en traditionnelle, et je vais expliquer pourquoi.

Très simplement, plusieurs éléments permettent de voir en quoi les « clients » n’adhèreront pas en masse aux magasines via des applications sur iPad.

Non-gratuité

Tout d’abord, les quatre responsables interrogés à l’antenne ont tous été assez clair là-dessus : les solutions qu’ils proposeront sur l’iPad seront toutes payantes (Denis Olivennes à donné des chiffres précis : 2,50 euros le numéro, ou 15 euros l’abonnement). Donc point de culture du Freemium ou du gratuit : l’iPad est un bel objet, il est pour les élites, donc on va bien faire payer les élites. Je ne sais plus si c’est Philippe Jannet qui avançait le chiffre de 800€ au total pour l’iPad une fois qu’on avait acheté toutes les applications. Si on prend un prix d’iPad à 450€, cela sous-entend que celui-ci n’est utilisable qu’après avoir acheté 350 euros d’applications supplémentaires !

Sont-ils complètement déconnectés de la réalité ? Je le crois. Plus personne n’achète les journaux d’information, parce qu’ils n’apportent pas grand chose de plus que le trop plein d’informations accessibles gratuitement que l’on a déjà. Ceux qui s’en sortent sont ceux qui apportent un vrai plus (et pas simplement des vidéos et des photos comme promis dans l’iPad, ou un prétexte de vérification de l’information qui n’est rien de plus qu’une copie de la dépêche AFP – déjà vérifiée) : le Canard Enchaine, par exemple, apporte chaque semaine un lot de scoops qui justifient amplement son prix d’achat. Le Courrier International apporte des traductions d’articles trouvés dans d’autres journaux hors-France, avec un point de vue que l’on n’a pas chez nous. Au final : pour s’en sortir aujourd’hui, les journaux doivent justifier leur existence, et encore plus justifier le prix auquel ils vendent leur papier.

Le regard impersonnel

Plus qu’autre chose également, les journaux classiques (ceux des quatre personnes interrogées), n’ont pas d’identité dans la mise en page ou dans les points de vue. Regardez Arrêt sur Image, avec son regard toujours perçant dans l’actualité du traitement de l’information par les journalistes ; regardez Rue89, comment ce pure-player est parvenu à donner une partie importante au regard du lecteur dans ses papiers (par exemple : chaque jour la question de l’internaute, ou le décryptage des dépenses mensuelles de quelqu’un dans Eco89) ; regardez les articles « fact checking » du Washington Post : toutes ces ‘spécialisations’ permettent de se démarquer de la concurrence, et de proposer des choses différentes, pour fidéliser une partie du public. Cela dit, cela ne justifie pas forcément une paye récurrente des numéros : Rue89 est totalement gratuit dans sa publication, et trouve d’autres moyens de financement (comme le mur de Rue89).

Conclusion

Avec l’iPad, on sent bien que la presse installée et mourante vient de retrouver une lueur d’espoir, une faible bouffée d’air, afin de repousser encore un peu sa mort annoncée. Au delà du matraquage, c’est la non-ambition de se réinventer qui transparaît, celle de vouloir profiter du succès précédent des iPods et iPhone via l’iPad, d’en faire partie, sans pour autant revoir son fonctionnement personnel.

Mais il n’y aura pas de magie.

Certes, l’iPad est une belle opportunité, un beau système de consommation de contenu, mais il a ses codes, il a ses règles. Pour preuve, j’en veux les échecs des maisons de disques qui ont voulu reproduire avec l’iPod et iTunes les même modèles qu’avec leur CD en vendant à prix d’or des albums sur iTunes. Bilan : ce qui fonctionnait bien (la vente à l’unité des morceaux à un prix de 0,99 centimes) s’est tout de suite écroulé (sur ce sujet, lire :
iTunes vendra des morceaux à 1,29 euro à partir du 7 avril et Prix variables sur iTunes : moins de ventes mais plus de bénéfices. Je suis sûr que les journaux en lignes prévoient déjà de vendre à prix d’or sur iPad la moindre de leur publication. Ils s’y casseront les dents.

Pour aller plus loin

Guillaume Champeau de Numerama a fait un très bon billet sur la question :

La démonstration par l’iPad que l’iPad ne sauvera pas la presse

Presque deux mois après son lancement aux Etats-Unis, l’iPad débarque aujourd’hui en France, en Australie, au Canada, en Allemagne, en Italie, au Japon, en Espagne, en Suisse et au Royaume-Uni. Vous ne pouvez pas l’ignorer, toute la presse en parle. Une presse qui voit dans la tablette tactile de Steve Jobs son sauveur, comme l’industrie musicale a vu en iTunes la solution miracle qui allait enfin lui permettre de trouver son modèle économique sur Internet. Alors qu’elle lui a surtout permis d’éviter de se remettre totalement en question.

Les innombrables éditoriaux enthousiastes des patrons de presse n’y feront rien. L’iPad ne sauvera pas les journaux. Au mieux donnera-t-il quelques temps à la presse l’illusion d’avoir un nouveau modèle économique, alors qu’elle n’aura qu’un nouveau support qui deviendra demain aussi banal que le journal papier. Ce qui sauvera la presse ça n’est pas le contenant, mais le contenu.

A cet égard, il est très instructif de lire dans le Washington Post l’expérience de l’agence Associated Press. L’agence qui se contentait souvent de relayer les communiqués et de rendre compte des évènements a réalisé qu’elle devait être beaucoup plus agressive dans son traitement de l’information. Les articles dans lesquels elle vérifie les informations pour rétablir la vérité (le « fact-checking ») sont à la fois les plus cliqués, et ceux vers lesquels les internautes créent le plus de liens.

A l’ère du web où l’information est la même partout, où tous les journaux saluent la même sortie de l’iPad par les mêmes articles, ce qui fait la différence et ce qui fait revenir les lecteurs est la valeur ajoutée que l’on peut apporter. C’est la vérité, ou plus modestement l’analyse sans concession, qui donnent aux lecteurs l’envie de visiter un site, d’y retourner, et parfois de s’y abonner.

Une belle interface sur une jolie tablette tactile fera certainement sensation, mais elle ne résoudra en rien la crise structurelle d’une presse qui doit profondément remettre en question sa mission.

Article diffusé sous licence Creative Common by-nc-nd 2.0, écrit par Guillaume Champeau pour Numerama.com
La démonstration par l’iPad que l’iPad ne sauvera pas la presse

Presque deux mois après son lancement aux Etats-Unis, l’iPad débarque aujourd’hui en France, en Australie, au Canada, en Allemagne, en Italie, au Japon, en Espagne, en Suisse et au Royaume-Uni. Vous ne pouvez pas l’ignorer, toute la presse en parle. Une presse qui voit dans la tablette tactile de Steve Jobs son sauveur, comme l’industrie musicale a vu en iTunes la solution miracle qui allait enfin lui permettre de trouver son modèle économique sur Internet. Alors qu’elle lui a surtout permis d’éviter de se remettre totalement en question.

Les innombrables éditoriaux enthousiastes des patrons de presse n’y feront rien. L’iPad ne sauvera pas les journaux. Au mieux donnera-t-il quelques temps à la presse l’illusion d’avoir un nouveau modèle économique, alors qu’elle n’aura qu’un nouveau support qui deviendra demain aussi banal que le journal papier. Ce qui sauvera la presse ça n’est pas le contenant, mais le contenu.

A cet égard, il est très instructif de lire dans le Washington Post l’expérience de l’agence Associated Press. L’agence qui se contentait souvent de relayer les communiqués et de rendre compte des évènements a réalisé qu’elle devait être beaucoup plus agressive dans son traitement de l’information. Les articles dans lesquels elle vérifie les informations pour rétablir la vérité (le « fact-checking ») sont à la fois les plus cliqués, et ceux vers lesquels les internautes créent le plus de liens.

A l’ère du web où l’information est la même partout, où tous les journaux saluent la même sortie de l’iPad par les mêmes articles, ce qui fait la différence et ce qui fait revenir les lecteurs est la valeur ajoutée que l’on peut apporter. C’est la vérité, ou plus modestement l’analyse sans concession, qui donnent aux lecteurs l’envie de visiter un site, d’y retourner, et parfois de s’y abonner.

Une belle interface sur une jolie tablette tactile fera certainement sensation, mais elle ne résoudra en rien la crise structurelle d’une presse qui doit profondément remettre en question sa mission.

Article diffusé sous licence Creative Common by-nc-nd 2.0, écrit par Guillaume Champeau pour Numerama.com

Edit : Un article très intéressant sur Arrêt sur Image à propos de la sortie de l’iPad : « iPad : mourir pour un gadget ? (Independent)« 

7 réflexions sur « L’iPad ne sera pas un eldorado pour la Presse traditionnelle »

  1. Idem, je suis du même avis. Et je ne comprends toujours pas comment les patron de titre n’arrivent toujours pas à comprendre qu’ils doivent changer. C’est un peu comme si, ils fonçaient vers un mur sans même se dire qu’ils leur faudra freiner.

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  2. Je me permet de citer la conclusion du billet de Daniel Schneidermann dans son billet titré L’IPAD ? POURQUOI JE SUIS AGNOSTIQUE. :

    J’ajoute que l’iPadolâtrie des patrons de presse me laisse aussi plus que sceptique. Si la presse veut qu’on l’achète, qu’elle commence par produire des enquêtes telles que celle de l’Independent, que signale ce matin Gilles Klein, sur…les conditions de travail chez les sous-traitants chinois d’Apple, justement, les journées de douze heures, les suicides. Il sera bien temps, ensuite, de voir sur quel support ces enquêtes se « déclinent ».

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  3. Très bon article, je ne suis pas loin de penser pareil, avec le prix des applications, des abonnements presse, et de l’abonnement de la 3G et son prix, l’ipad n’aura pas le succès que l’iphone.

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